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Grand débat national douanier

Transport - Douane
10/04/2019
Un « grand débat national douanier » s’est tenu le 9 avril entre la Douane, les conseils et les opérateurs, à l’initiative de l’Institut des Avocats Conseils Fiscaux.
Maître Véronique Lenoir, Vice-Présidente de l’IACF, rappelle le contexte du Grand Débat National (GDN).  À l’image de ce dernier, ce GDN douanier a pour but de mettre les différents acteurs autour de la table et d’apaiser la situation. C’est ainsi que le Directeur général des douanes et droits indirects (DGDDI), Rodolphe Gintz, résume l’esprit – partagé par les participants – des échanges dont nous rapportons les éléments ci-dessous. Aussi, ajoute-t-il, si les attentes sont fortes, toutes les espérances ne seront pas forcément satisfaites mais le débat fera œuvre utile.
 
Brexit : dates, conséquences et préparation
 
Au moment où se tient le débat, à la veille du sommet européen du 10 avril, l’incertitude sur la date de sortie de l’UE par le Royaume-Uni est toujours grande : 12 avril sans accord de retrait ? 22 mai avec accord ? Et pourquoi pas un maintien dans l’UE puisque la CJUE a indiqué que c’était possible ? Le Président du Conseil européen, Donald Tusk, vient même d’évoquer un délai du report de la sortie pouvant aller jusqu’à un an maximum, précise Rodolphe Gintz. Celui-ci rappelle que son Administration était prête pour la sortie initiale prévue au 29 mars et que, pour le 12 avril, « ça devrait donc aller » : des tests ont, certes, eu lieu mais quid de savoir si les systèmes mis en place  tiendront le choc dans des hypothèses extrêmes ? Il souligne encore que si les formalités douanières et les coûts (droit de douanes, taxes, recours à un représentant en douane enregistré (RDE) ou internalisation pour l’accomplissement de ces formalités) sont les conséquences visibles pour les opérateurs, des questions techniques se posent aussi s’agissant, notamment, des régimes particuliers (perfectionnement actif ou passif, admission temporaire, par exemple) ou de l’origine (en effet, la part d’origine Royaume-Uni d’un produit n’entrera plus dans l’origine UE).
 
Quel est le sort d’une opération commencée avant le Brexit et se finissant après ? Sur ce point, le Directeur général de la DGDDI indique que ce qui est commencé sous le régime de l’Union se finit sous le régime de l’Union. Maître Fabien Foucault suggère la publication d’une circulaire en ce sens et Rodolphe Gintz, qui indique que cela a déjà été écrit, accepte d’insister sur cet aspect dans les « documents en français ». S’agissant des produits soumis à accises qui se trouveraient dans cette situation, Laurent Perrin de la sous-direction Fiscalité douanière (FID) en charge du Bureau « Énergie, environnement et lois de finances » précise que la Commission européenne (qui demande aux opérateurs d’éviter la circulation de tels biens au moment du Brexit) a publié des lignes directrices datées du 11 mars 2019.
 
Maître Stéphane Chasseloup du Cabinet Fidal note que les PME ne sont pas prêtes pour le Brexit, mais sur ce point, Rodolphe Gintz rappelle que la Douane a mené un plan d’action à destination des opérateurs et qu’elle a lancé des invitations multiples aux opérateurs... qui ne sont pas toujours venus. En effet, à la rentrée de septembre, les opérateurs s’étaient certes déplacés, mais une fois que l’accord de retrait a été adopté, ils sont moins venus. Maître Thérèse-Anne Amy, du Cabinet Arcade Avocat, note quant à elle une impréparation des opérateurs s’agissant des régimes douaniers et suggère, s’agissant de l’origine des marchandises, que les entreprises consultent leurs acheteurs sur ce sujet.
 
Guerre commerciale avec les USA
 
Dans le cadre du conflit UE-USA sur les aciers et produits en aluminium, le règlement 2018/886 (voir notre actu) a introduit des droits de douane supplémentaires sur certains produits. À la question des contrôles ciblés sur les produits concernés à l’importation, le Directeur général des douanes répond, sans surprise, qu’il ne dévoilera pas les algorithmes pour ces contrôles et ajoute que la stratégie européenne porte sur des produits ciblés très spécifiquement (motos, jeans, etc.). Il souligne encore qu’une clause « de revoyure » est prévue le 1er juin 2021, soit après l’élection présidentielle aux États-Unis,  ce qui n’exclurait donc pas un changement de trajectoire selon le résultat du vote à ces élections !

Accords commerciaux, EA et REX
 
Sur les accords avec les pays partenaires, Rodolphe Gintz rappelle que la Douane n’est pas à la table des négociations (la DG Trésor en a la charge) mais qu’elle a des informations puisqu’elle vérifiera la bonne application du contenu des accords. La priorité va clairement à l’axe géographique Indo-Océanique et concerne donc actuellement les accords avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et l’Indonésie.
 
Si, dans les accords existants, le statut d’exportateur agréé (AE) et celui d’exportateur enregistré (REX) existent, le maintien du premier n’est pas garanti : selon le Directeur général des douanes, un constat est partagé sur le fait que le système REX est plus simple et qu’il fait partie des accords de nouvelle génération souhaités. Le but est donc de développer ce modèle et de rouvrir les négociations dans les accords existants sur ce sujet : cela a déjà commencé avec le Mexique et le Chili.

Opérateur économique agréé (OEA) : quelle sanction ?
 
Maître Stanislas Roquebert interroge la Douane sur la sanction potentielle d’un OEA : sera-t-il plus sanctionné parce qu’il est moins excusable qu’un autre opérateur, ou ne sera-t-il pas sanctionné du tout ? La réponse du Directeur général écarte les deux branches de cette alternative : la sanction sera liée à la gravité de l’infraction et aux circonstances.
 
Droit douanier français et communautaire
 
Sources douanières nationales
 
Les conseils présents suggèrent que les « notes aux opérateurs », les « circulaires » et les « rescrits » douaniers soient accessibles en ligne sur un site unique : il s’agirait en quelque sorte d’un « BOFIP douanier ». Rodolphe Gintz annonce que, dans le cadre de la loi ESSOC, des rescrits « anonymisés » seront publiés. Selon lui, pour cette demande de mise en ligne souhaitée qui correspondrait à un « BO douanes », la DGDDI ne dispose pas du temps et des ressources nécessaires à cette fin.
 
Code des douanes national : PV et intention délictueuse
 
S’agissant de l’effet interruptif des procès-verbaux douaniers en droit français (C. douanes, art. 354 bis), Rodolphe Gintz révèle que la Commission européenne a demandé à la France de « regarder si son interprétation des textes est la bonne » : l’article 103 code des douanes de l’Union (CDU) ne comporte en effet pas de disposition sur l’interruption, mais seulement sur la suspension. Le Directeur général annonce dans une prochaine loi de finances qu’une évolution sera proposée sur ce sujet.
 
Le Code des douanes national pourrait de plus être modifié pour amender les articles d’incrimination qui devraient préciser l’intention, et ce, pour se conformer notamment à la directive sur la protection des intérêts financiers (+ lien : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:32017L1371). Il serait recouru par voie d’ordonnance (ce que prévoirait la loi Pacte, plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, qui arrive en fin de parcours).
 
Simplifications avec le CDU
 
Le CDU a-t-il simplifié la vie des opérateurs ? Maître Stéphane Chasseloup émet de sérieuses réserves en évoquant par exemple les RTC (lorsque des États membres ont délivré des renseignements contraires, avec des taux différents, la résolution de ce conflit de RTC est trop longue), les garanties ou la destination particulière. Le Directeur général des douanes va dans son sens s’agissant des RTC (en rappelant que la France avait proposé un système dans lequel la délivrance des renseignements tarifaires contraignants aurait été soumise à une spécialisation par pays : la matière aurait déterminé le pays compétent pour délivrer le RTC, évitant ainsi qu’un État membre peu au fait de l’espèce à déterminer délivre un RTC erroné). Idem s’agissant des garanties douanières : clairement, « le CDU n’est pas au rendez-vous », selon Rodolphe Gintz qui souligne que le texte adopté est issu de la DG TAXUD (TAXation Union Douanière) mais venait « d’ailleurs ».
 
Système informatique douanier (SI)
 
Clairement sur la question des SI, les opérateurs manifestent leur mécontentement : l’indisponibilité des systèmes est mise en avant s’agissant de Delt@ et de Soprano. À cela s’ajoutent, dans ces cas, la complexité des procédures de secours à mettre en place et la question de ce qu’il faut ou non remettre dans les SI une fois que ceux-ci fonctionnent à nouveau. Rodolphe Gintz convient des faiblesses en indiquant que les opérateurs sont prévenus en amont ; il ajoute que, ayant fixé la veille du débat, la feuille de route informatique de ses services, Soprano – « qui ne marche pas du tout » – est un chantier prioritaire qui doit aboutir à une résolution du problème fin 2019-début 2020.
 
LOI ESSOC : droit à l’erreur (DAE), droit au contrôle, rescrit...
 
La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d’une société de confiance (dite ESSOC) a notamment introduit le droit à l’erreur et le droit au contrôle, et enrichi le rescrit douanier. Sur l’effectivité du DAE, Rodolphe Gintz estime qu’on ressent un « frémissement » quant à son application. Sur le droit au contrôle (qui permet aux entreprises de demander à être contrôlées et d’obtenir un rescrit sur les éléments contrôlés), il n’y a rien à signaler : sans surprise, la Douane avait anticipé que les opérateurs ne se rueraient pas sur cette faculté. Sur les rescrits, il signale « quelques rescrits », mais ce n’est pas « massif ». Sur ces sujets, Michel Baron, Chef du Bureau  des Affaires juridiques et contentieuses à la DGDDI, indique qu’une circulaire sera publiée « avant l’été », mais qu’elle ne sera qu’informative.
 
Droit à l’erreur
 
La bonne foi est cœur du DAE : si seule la mauvaise foi est définie par le Code des relations entre le public et l’administration, le Directeur général des douanes rappelle que, avec la loi ESSOC, l’opérateur est par définition de bonne foi et c’est la Douane qui a la charge de la preuve de la mauvaise foi.
 
Le DAE ne concerne que le droit national (et pas le CDU) : les droits de douane sont, donc, exclus du champ d’application de ce droit, l’opérateur devant prouver sa bonne foi. Pourtant, comme le souligne Maître Denis Redon de CMS Francis Lefebvre Avocats, il n’y aurait pas vraiment de justification à cette exclusion si l’on se réfère à l’avis n° 393/744 du Conseil d’État du 23 novembre 2017 sur la loi ESSOC (point 18). Pour Rodolphe Gintz, il s’agit là d’un sujet européen et il faut donc avancer à ce niveau ; de plus, il existe des formes de DAE dans le CDU.
 
Rescrit douanier
 
Sur le champ du rescrit dans sa version actuelle qui exclut le CDU, Michel Baron rappelle que la version précédente ne s’appliquait pas non plus au CDC, ni au CDU et qu’il existe déjà des formes de rescrit dans le CDU.
 
Droit au contrôle
 
Manifestement, sur le champ d’application de ce droit au contrôle, qui pourrait ou non comprendre les droits de douane du CDU, un flou demeure entre conseils et Douane (quelles situations ? quels domaines ?) : la circulaire à venir annoncée ci-dessus devrait apporter des éclaircissements, selon Michel Baron.
 
Séparation des services douaniers de conseil et de contrôle
 
La question de la porosité des services douaniers, entre ceux qui ont une mission économique de conseil et ceux en charge de contrôler, est à nouveau évoquée. Des opérateurs conseillés se retrouveraient contrôlés à la suite des échanges avec la Douane agissant en tant que « partenaire économique ». Pour le Directeur général des douanes, il existe bien deux services distincts et ils se parlent « dans les deux sens » : d’une part, les services de contrôle entrent en contact avec les services d’action économique pour limiter le contrôle quand ces derniers aident les opérateurs ; d’autre part, une instruction (interne sans nul doute) prévoit que si un opérateur vient demander de l’aide/un conseil à la Douane (par exemple en présence d’une législation compliquée), le service économique qui a répondu à cette demande a « interdiction » de désigner l’entreprise aux services de contrôle.
Plus d’information sur ces sujets dans Le Lamy Guide des procédures douanières et Le Lamy transport, tome 2.
Source : Actualités du droit